Anne de Vivie, fondatrice d’Agevillage.com et directrice des formations Humanitude France
La loi Kouchner* s’adresse aux établissements sanitaires et médico-sociaux. Depuis 20 ans, elle interpelle sur la démarche et les avancées en matière de qualité des soins. La parole de la personne aidée ou du patient, notion née de la loi de 2002, dans la mesure où ces personnes disposent de la possibilité d’exprimer des réclamations et d’une représentativité via les associations d’usagers, soulève la question de la démocratie sanitaire.
Ainsi, les aspects relatifs à l’éthique, au conceptionnel, au construire ensemble, sont inhérents à la démocratie sanitaire. Aujourd’hui, les associations de patients sont unanimes pour dire que le pouvoir reste entre les mains de celui qui soigne. Cependant l’expertise est aussi entre les mains de celui qui est soigné, qu’il soit patient ou aidant. La quête de sens du métier de soignant passera par l’acceptation qu’au-delà de l’expertise métier, les soignants doivent évoluer vers une co-construction des soins avec les personnes concernées. Cette réflexion est indispensable à la découverte d’un nouveau souffle pour ces professions.
La co-construction du soin est déjà en pratique pour les patients atteints de maladies chroniques.
Par ailleurs, dans les services de soins palliatifs, nous enregistrons moins d’absentéisme, un turn-over limité, sans compter qu’ils attirent des bénévoles. Dans ces unités, les professionnels sont là pour soulager ou accompagner dignement jusqu’au bout de la vie. Ce degré de professionnalisme s’accompagne d’une co-construction avec les parties prenantes. C’est peut-être là que se joue la quête d’un nouvel équilibre entre expertises, pluridisciplinarité, co-construction, collaboration et élaboration continue du soin.
D’un point de vue financier, pendant plus de 20 ans, nous avons fonctionné avec une tarification à l’activité ou au point, la valeur du point étant liée à l’accueil des personnes en situation de handicap, malades ou dépendantes. Nous arriverons au bout du système si nous n’introduisons pas des indicateurs relatifs à la qualité de vie au travail, au lien nourri entre les différentes parties prenantes, à la bientraitance, à une politique RSE. Nous devons définir ensemble ces indicateurs.
Nous sommes au pied du mur, nous n’avons plus assez de professionnels et une population vieillissante. Le système de santé se meurt, il n’attire plus et rejette même. Si nous ne travaillons pas l’attractivité du métier pour trouver des solutions au recrutement, nous n’y arriverons pas.
Les établissements labellisés Humanitude (1er label de bientraitance) ont procédé à une remise en question totale afin que chaque professionnel s’interroge et œuvre pour composer le lien avec la personne, qu’elle soit aidée ou soignée. Lorsque nous travaillons les techniques de regard, de la parole, du toucher, jusqu’à la verticalité, elles nourrissent ce lien en particulier durant les soins. En effet, la situation de soin tend des pièges et empêche de tisser des relations normales. Avant/après nos formations-actions, nous enregistrons une baisse de 83 % des troubles du comportement. Le label Humanitude alimente donc le lien patient-soignant.
Dans les établissements labellisés, nous comptons moins d’absentéisme. Le label devient une marque employeur, il attire les professionnels et vient en partie contrecarrer le manque d’attractivité de ces métiers. Pour le salarié, ce label garantit une pratique dans un environnement qui a accepté de s’interroger et lui offre une qualité de vie au travail en lui permettant de poursuivre sa démarche en faveur du prendre soin. Il entre dans un environnement exigeant mais structurant et guidant. Les soignants exercent leurs métiers parce qu’ils veulent prendre soin des gens et aller dans le sens de la santé. Ils retrouvent via cette labellisation l’origine de leur démarche dans un processus organisé au-delà des recommandations et chartes non appliquées. La dichotomie des injonctions contradictoires, des paradoxes du soin, est intégrée et traitée.
Une dynamique autour du label Humanitude émerge. Les recommandations, les exigences de la part des pouvoirs publics manquent d’outillage concret face à une population vieillissante, d’où l’augmentation des maladies cognitives et leur cortège de comportements d’agitation difficiles à prendre en charge. Dans les établissements Humanitude nous ne faisons pas de contention, de soins contre l’avis de la personne, de sédation abusive. Nous sommes dotés de techniques qui permettent d’accompagner les personnes le mieux possible. Et si nous n’y arrivons pas : nous cherchons de nouvelles compétences.
Un des principes du label est le vivre et mourir debout. En aidant les personnes à se verticaliser, le soignant se préserve de manutentions douloureuses, et le résident ou le patient gagne en santé. Le temps du mourir dure moins longtemps. Les professionnels doivent se (re) former pour mettre en œuvre et réussir cette mutation avec le soutien du système, de la population et des élus. Saisissons-nous de tous ces savoir-faire et techniques dont nous disposons. Nous avons 10 ans devant nous avant l’arrivée à l’âge avancé des papy boomers.
Dans le livre que j’ai écrit pour raconter l’histoire de ce label** je note que cette démarche est alignée avec les échéances du défi climatique. La réforme du système de santé vers du plus collaboratif, plus participatif, plus centré sur le lien et la qualité de vie des gens fait écho à la problématique du réchauffement climatique. Prendre soin de soi, des autres, du système, du territoire, de la planète fait référence aux mêmes engagements que la sauvegarde du climat, de la biodiversité.
J’ai interrogé les professionnels des labellisés : recommanderiez-vous votre établissement à un proche ? Vivriez-vous dans votre établissement ? Aujourd’hui, ils répondent par l’affirmative. Ils sont rassurés et fiers de leur prendre soin.
Au fond on travaille pour soi… moi aussi ! Aujourd’hui je travaille pour mes proches et demain pour moi !
* La loi Kouchner du 4 mars 2002 établit deux principes : le consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements proposés, et le droit du patient d’être informé sur son état de santé (article L. 1110-2 du Code de la Santé Publique).
** Vieillir debout : ils relèvent le défi ! La label Humanitude, Annie de Vive, éditions Chronique Sociale, 2022.