Interview de Stéphane Le Bouler, président du Think Tank LISA (Laboratoire d’Idées Santé Autonomie).
Entre 2018 et début 2021, Stéphane Le Bouler a été responsable de projet pour l’intégration à l’université des formations paramédicales et de maïeutique, pour les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Dans le cadre du Plan de relance, il a mené fin 2020 et fin 2021, à la demande du Premier ministre, deux missions de concertation État-régions sur la création de places de formation en santé et sur la pérennisation du financement de ces formations.
« Nous nous interrogeons continuellement sur les questions de métiers, de compétences, de formations, d’attractivité, etc. La question des frontières entre les métiers est particulièrement difficile à traiter sereinement dans l’espace public car les corporations se crispent assez vite. Nous l’observons actuellement à propos des IPA (infirmiers-ères en pratique avancée) : nous pensions que les différents ordres professionnels s’étaient mis d’accord sur une vision des choses et finalement patatras ! Une fois l’encre séchée, l’accord s’avère instable sur le rôle de chacun et la supervision par le médecin notamment. La place des professions intermédiaires, entre les auxiliaires médicaux traditionnels et les médecins, est donc problématique. En 2016, après bien des années de réflexion, la loi a consacré les IPA mais ce modèle – dont le déploiement a été compliqué pour les infirmiers-ères – concerne d’autres métiers d’auxiliaires médicaux, dossier qui n’a pas progressé jusqu’à présent. Les résistances sont fortes, situation paradoxale quand le temps médical manque.
Autre problème de plus en plus prégnant : le tissu formé par les professionnels de soins primaires* est aujourd’hui fragilisé en termes de couverture géographique. Les médecins généralistes ne couvrent plus le territoire, le réseau pharmaceutique risque de se rétrécir si l’on considère la démographie en formation officinale. Il existeb aussi des difficultés de recrutement des sage-femmes à l’hôpital mais aussi dans les formations de maïeutique. Seuls les infirmiers assurent aujourd’hui le maintien de la ligne des soins primaires sur l’essentiel du territoire. Malgré les initiatives politiques, force est de constater que, sur le terrain, le tissu global se délite. »
Quels sont nos besoins ?
« Nos difficultés à poser les termes du débat résident aussi dans la façon d’évaluer les besoins et les entrées en formation nécessaires dans les différentes filières. Nous faisions de la régulation quantitative à coup de numerus clausus ou de quotas, en nous efforçant de coller aux territoires et aux disciplines et spécialités de façon fine mais sans répondre au fond à quelques questions cruciales : de combien de médecins aura-t-on besoin demain ? De combien d’autres professionnels aura-t-on besoin ? Ce faisant, nous n’abordons pas defront les conséquences des évolutions technologiques et du partage des tâches entre les professionnels. Quand nous évoquons l’incidence de l’intelligence artificielle sur telle ou telle spécialité médicale, nous le faisons de façon pointilliste et nous n’avons pas collectivement d’espace d’élaboration et de discussion pour transcender les passions professionnelles.
Autre exemple de myopie : l’OCDE travaille depuis des lustres sur les migrations des professionnels du soin, sujet que nous donnons l’impression de découvrir aujourd’hui. Nous avons par exemple eu beaucoup de peine à traiter le sujet des médecins originaires de pays hors Union européenne et nous voyons nos médecins et auxiliaires médicaux opter pour une pratique en transfrontalier, sans que nous ayons une réflexion sur la manière d’accueillir les uns ou de retenir les autres.
La difficulté à entrer dans une prospective stratégique découle enfin des limites de nos connaissances en matière statistique sur le champ médical mais surtout sur le champ paramédical (quelle est la durée d’une carrière ? Quelles sont précisément les mobilités ? Que sait-on des cessations anticipées d’activité ?). Nous n’avons pas l’outillage de nos politiques en termes de connaissances et la négociation n’est que rarement précédée de réflexions de cadrage, qui permettraient de situer les professions les unes par rapport aux autres. Il est nécessaire de dresser une image, une cartographie d’ensemble des rôles et des coopérations pour déterminer les moyens nécessaires dans les différents compartiments du système de santé. Habituellement, on raisonne à l’inverse : on fabrique des silos professionnels et on s’interroge ensuite sur la façon de bâtir des ponts. »
NOUS CONTACTER : contact.lisalab@gmail.com